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Diplôme de paysage . ensapBx . Marie Bretaud & Helena Le Gal

Cette partie du projet correspond à notre désir de récolter des récits habitants. Pour nourrir la base de données du Bergeracois par des paroles et des représentations vernaculaires, nous voulons injecter, au-delà des données concernant des objets, des données concernant des « rapports » aux objets. Il s’agit donc bien de s’intéresser aux lieux, mais aussi aux individus qui les perçoivent et/ou les vivent et in fine aux liens qui s’établissent entre eux. Nous appelons ces liens « affects ». Notre objectif est, par cette démarche d’entretiens privés, de mesurer les affects habitants ; dans l’idéal, il s’agit également de pouvoir les faire évoluer (par l’émergence de nouvelles représentations).

Réalisation d'entretiens

autour du territoire du SCoT bergeracois et au delà,

à travers 5 enquêtes auprès d'habitants du territoire.

Méthodes d’enquête

De cet objectif découlent plusieurs questions méthodologiques :

Tout d’abord qui interviewer, dans la mesure où l’exhaustivité de l’enquête est impossible dans notre cadre de travail, vue l’échelle d’étude (SCoT) ?

Ensuite, à quel sujet interviewer les personnes, celui de l’affect des lieux pouvant être abstrait ; autrement dit comment formuler nos questions pour nous approcher du sujet sans le poser brutalement ?

Enfin, comment aller à la rencontre des personnes : par le porte à porte, le rendez-vous organisé, l’appel à sondage ?

Nous nous sommes confrontées à ces questions par une première approche documentaire, en lisant des articles sur les méthodologies d’enquêtes sociologiques, plus ou moins en rapport avec l’espace. Nous nous sommes ainsi essayées à plusieurs méthodes d’interview visant à capter des données d’ordre sensible et à dévoiler les représentations mentales des individus. Ainsi, nous avons développé les techniques suivantes :

 

- L’observation permet d’approcher passivement la pratique des usagers et de mesurer le degré d’affectivité qu’ils développent en fonction du type d’action, d’engagement et de temporalité qu’ils opèrent dans un lieu. Elle permet de garder une certaine distance avec les lieux et les personnes étudiées.

- L’entretien dit « semi-directif » donne accès au récit du vécu dans une dimension subjective. Cet outil permet de prendre en considération chaque parole de l’interviewé, et de capter les redondances ou les discordances du récit. Le langage du corps permet de cerner si la gestuelle est cohérente avec le discours d’un individu, ainsi que de traduire d’une manière complémentaire à la parole les émotions de la personne. Cette méthode demande une certaine empathie, pour comprendre les émotions et perceptions des individus, et pour intégrer leur mode de représentation et de pensée, mais réclame néanmoins le respect d’une distance laissant libre cours à la parole de l’interrogé et laissant à l’enquêteur (nous) son sens objectif. Cet exercice a été plutôt difficile pour nous, puisque nous avons souvent lié des amitiés avec les personnes rencontrées ; l’objectivité de cette méthode est donc assez relative.

- L’entretien dit réactivé, autrement dit la réitération d’une rencontre avec une personne déjà interviewée, apporte des éléments complémentaires nécessaires à une meilleure appréhension de la dimension affective des représentations individuelles. Il permet d’étudier dans de nouvelles conditions (sociales et spatiales), après une prise de recul de l’enquêteur et un changement de situation de l’enquêté, et livre un échange plus confiant entre individus. Les discours peuvent devenir plus spontanés et moins construits afin de répondre à ce que l’enquêteur semble attendre. Nous avons ainsi pu entendre des discours plus intimes et relativiser certaines données captées précédemment.

- L’entretien avec objet transitionnel, telle qu’une carte mentale par exemple, convoque une traduction culturelle et symbolique du lieu enquêté. Bien que débutant souvent par le dessin d’une carte cognitive qui cherche à représenter la réalité de l’espace, l’expérience de cet outil nous a montré qu’il amène une dimension plus affective à la représentation, au fil du dessin de la carte et de l’entretien oral. Il réclame un temps d’entretien long et le dépassement pour l’enquêté de sa peur de « mal faire », ce qui rend l’exercice potentiellement délicat.

- Le parcours commenté offre un accès in situ à la dimension sensible. Le circuit choisi par l’enquêté peut ne pas être spontané et avoir été construit, auquel cas il livre une reproduction de la réalité dans laquelle il est plus difficile de capter les véritables affects. Nous avons donc préféré provoquer ces parcours de manière naturelle et non planifiée. Cet outil autorise une perception vécue par l’enquêteur et l’enquêté en simultané, ainsi qu’une description très précise du lieu concerné. Il inculque un sens complet de l’espace, dans la mesure où il expose à la fois un lieu, un itinéraire dans ce lieu, une manière de le parcourir et une temporalité (durée et rythme). Là encore nous nous sommes heurtées à des conditions d’entretien altérant notre subjectivité, car les données observables interagissent avec les conditions d’observations d’ordre sociales (interaction privilégiée enquêteur/enquêté), et spatiales (âme du lieu, météorologie, lumière…). Il nous a beaucoup servi pour accéder directement au récit d’un lieu et à son image simultanément et nous est apparu comme l’outil le plus performant de récolte d’information.

Personnes enquêtées

Les réponses aux questions de qui interviewer ? à quel sujet ? et comment ? se sont construites au fil de ces expériences. Nous avons interviewé 6 personnes (ou couple de personnes), que nous avons toutes rencontrées plus ou moins par hasard, tout en cherchant à nous approcher de typologies habitantes différentes (agriculteurs, résidents, habitants pavillonnaires…).

 

Michel et Agnès sont viticulteurs bio et retraités au château Le Tuquet, à Bergerac. Nous les avons rencontrés dans le cadre de la location d’une maison à Bordeaux par l’une de nous, car ils en sont les propriétaires. Avec eux nous avons essentiellement mené des entretiens semi-directifs réitérés et des parcours commentés sur l’exploitation, ainsi que de nombreux temps d’observation. Leur fille Elisabeth a repris l’exploitation avec son compagnon Olivier Branchu (sa rencontre a mené à une collaboration enseignante au lycée agricole de Montbazillac). Avec Olivier nous avons également fait la tentative d’un entretien avec objet transitionnel (carte mentale).

 

Mathias est un jeune viticulteur et vigneron au château Lestignac, producteur de vin naturel en biodynamie. Ayant goûté, par hasard à Bordeaux, un de ses vins qui nous a marqué par son originalité et par son étiquette, nous l’avons contacté par le biais d’un ami commun.

Le type d’entretien mené avec lui a majoritairement été le parcours commenté réitéré sur son exploitation. Nous avons aussi pu esquissé un entretien semi-directif en restant déjeuner un midi à ses côtés.

 

Gilles est un des deux créateurs de la brasserie La Pépie, au lieu-dit Grand Caillou, à Sadillac. Ayant goûté, par hasard à Bordeaux, une de ses bières qui nous a marquée par son originalité et par son étiquette, nous l’avons contacté par le biais du même ami commun. Encore une fois la méthode privilégiée avec lui a été les entretiens semi-directifs réactivés et les parcours commentés, avec comme particularité une géographie très étalée sur le territoire ; nous avons donc organisé des trajets en voiture et à pieds à ses côtés.

 

Jean-Pierre et Françoise sont maraîchers et traiteurs bio, sous le nom de Clair de Calune à Beauregard et Bassac. Nous les avons rencontré par le biais de Frédéric Guist’hau (président de l’association d’audio-visuel La Fée Caradoc), dont ils étaient amis. Avec eux nous avons établi un entretien exclusivement basé sur le parcours commenté.

 

Jean-Marie est un habitant retraité du lieu dit Petit Chai auprès de sa compagne, près du Château Le Tuquet à Bergerac. Nous l’avons rencontré grâce à Michel et Agnès, dont il était voisin. Suite à un entretien semi-directif fait dans sa maison, nous avons réalisé une sorte de parcours commenté en l’accompagnant à une randonnée nordique (activité qu’il pratique régulièrement avec un club).

Protocole de retranscription

Lors de ces divers entretiens, notre protocole est resté souple : il s’est agi de mettre en œuvre des conditions de discussion plus que d’enquête officielle, afin de permettre une parole libre. Nos méthodes (entretien directif, parcours commenté, objet transitionnel etc) sont donc restées des dispositifs secrets que nous amenions de manière plus ou moins improvisée en fonction des situations et des personnes. A chaque interview, nous nous sommes munies de caméra(s) et d’un enregistreur vocal, qui nous permettaient de capturer les paroles et gestuelles des individus ainsi que les images et les sons des lieux.

Au fil des captations d’informations il a fallu mettre en place un protocole de retranscription. Nous avons donc archivé chaque entretien à travers des vidéos, des pistes sons et des comptes-rendus écrits (contenant toute les discussions orales, des notes comportementales, et des notes sur les conditions d’observation).

Protocole de reconstruction

En analysant les informations captées par le filtre des représentations et des affects, nous avons dû déconstruire les discours. Il s’agit par là de prendre de la distance sur l’intégralité des entretiens menés avec un seul individu (les entretiens réitérés), et in fine de synthétiser le récit autrement qu’en récit de vie mais bien en fonction du rapport au sujet qui nous intéresse.

Nous avons donc créé un tableau d’analyse, représentant chaque rapport individu/lieu à travers plusieurs catégories : la géographie de chaque lieu-clé (que nous appelons « paysage-totem ») évoqué par chaque individu, les usages faits de ces lieux, les ressources et les moyens mobilisés pour ces lieux, les attentes et les desideratas projetés sur ces lieux, et les interrelations établies avec ces lieux.

La grande difficulté de cette étape a été pour nous d’éviter les champs de l’émotionnel et du sentimental. Il nous est apparu que la langue française a du mal à définir le terme d’ « affect » et qu’elle a tendance à l’affilier à ceux d’ « émotion » ou de « sentiment », notamment dans les sciences humaines telles que la psychologie sociale et environnementale, le management ou encore la psychanalyse. Effectivement il est courant de dire d’un paysage qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, qu’on le méprise ou qu’il nous rend joyeux etc. Mais il est très difficile de verbaliser une interrelation avec un paysage (de connivence, de parasitisme, de compétition ou d’harmonie), ou un degré d’intensité de cette relation.

Si les émotions et sentiments existent lexicalement par milliers, la notion d’interrelation est plus discrète. Elle existe dans quelques disciplines, comme la mécanique ou la biologie. C’est au fil de nos entretiens et de nos recherches documentaires sur cette question que nous avons élaboré une liste d’interrelations nous paraissant pertinentes (voir Paysages vécus).

Par ces tableaux, nous cherchons à faire émerger le processus de formation du rapport affectif homme/paysage sans convoquer le récit de vie, mais plutôt en regroupant des repères spatio-temporels, des données comportementales, des données représentationnelles et des données psychologiques appliquées à l’environnement.

Protocole de représentation

Les tableaux restant des outils d’analyse, il a fallu représenter les données récoltées, afin de les injecter dans la base de donnée. Le but de cette démarche n’étant pas de livrer un outil de contrôle ou de fichage, nous avons préféré développer des modes de représentation non documentaires qui s’emploient à dépeindre des rapports hommes/paysages par des bribes multi-médias évocatrices plus que descriptives.

Nous alimentons donc la base de données avec de nouvelles images d’objets croisés sur les lieux d’enquête, mais aussi avec des pistes audio et des vidéos. Ces représentations ne sont encore une fois pas documentaires, mais dépeignent bien notre regard paysagiste porté sur l’affect résidant entre des personnes et des lieux. Nous livrons donc des sortes de tableaux vidéographiques portrait/paysage, unissant des individus à des lieux-totems.

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INTERVENTION EN MILIEU SCOLAIRE

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